Keanu Reeves dans le film Johnny Mnemonic

Résilience numérique partie 1: mise à l’échelle des risques

7 minutes de lecture

Illustration : Keanu Reeves dans le film Johnny Mnemonic

Dans cette série de 3 billets sur la résilience numérique, ce premier volet aura pour but de poser les bases de la réflexion. Le second traitera de la résilience numérique en situation locale normale à dégradée (personnelle, professionnelle, communale), et le dernier de la résilience numérique en situation fortement dégradée ou d'isolement. Il sera question de niveaux de sécurité opérationnelle (OPSEC), d'analyse des vulnérabilités, risques et menaces, leur prévention, la préparation et la construction de solutions opérationnelles.

RÉSILIENCE : Capacité d’un écosystème à se rétablir après une perturbation extérieure.

Pourquoi parler de résilience ?

La résilience est un mot à la mode revenant fréquemment ici, une des 3 grandes thématiques de mon blog. Il est au cœur de nombreux enjeux contemporains. Cela ne signifie pas pour autant qu'il soit réellement conscientisé. Bien au contraire. Il fait l'objet de négligence, de perceptions restrictives, de déni, découlant d'une inconscience de la majorité des populations biberonnées au confort matériel (dans les pays riches), conditionnées et soumises à la pression de la conformité sociale.

Étant titré psychologue de par mon cursus universitaire, ce mot résonne depuis longtemps chez moi. Renvoyant d'abord à la résistance au choc d'un matériau, en mécanique, ce terme était jusqu'il y a quelques temps surtout connu dans le domaine de la psychiatrie et la psychologie clinique pour désigner la capacité de se reconstruire à la suite d'un traumatisme, à revenir à un niveau "acceptable" pour continuer à vivre. Cela sous-tend qu'on ne revient jamais exactement à ce qu'on pourrait appeler "la normale", la normalité étant un concept sur lequel on pourrait longtemps disserter ici. Peut être dans de futurs billets. Appelons cela : le changement.

La résilience devient un puissant concept universel de compréhension du réel dés lors qu'on parle de résilience systémique : notre univers est composé de systèmes avec des éléments en interaction. Tout système, qu'il soit physique, biologique, naturel, humain, technologique, économique, socio-technique... est soumis à des règles d'interdépendance et de capacités plus ou moins fortes de résilience. Cela dépend des caractéristiques de ces éléments et du système lui-même, en particulier sa connectivité, la modularité et l'hétérogénité des éléments. Ceci a été décrit dans M. Scheffer “Anticipating Critical Transitions” Science, vol. 338, n°6105 2012 avec un modèle illustrant les réponses types des réseaux complexes aux perturbations.

Modèle illustrant les réponses types des réseaux complexes aux perturbations

J'ai commenté ce shéma de manière plus détaillée dans un autre billet. Je résume : les systèmes hétérogènes ont une meilleure capacité de résilience, alors que les systèmes homogènes à forte interdépendance sont fragiles car leur capacité de résilience est faible. Un choc provoque des effets radicaux, violents et rapides provoquant un effondrement complet (schéma de droite).

La résilience numérique : mise à l'échelle

J'ai souvent traité dans ce blog de la question de la résilience des sociétés humaines. Il convient d'abord de préciser sur quels niveaux on se situe quand on parle de résilience numérique. Ce sont également les premières questions à se poser en prévention des risques :

  • Quel besoin / activité humaine
  • Quelle échelle sociale et géographique

Le premier niveau concerne les besoins physiologiques : survie, respirer, boire, manger, dormir, maintien des constantes du milieu intérieur (thermique, homéostasie), sécurité.... Puis les besoins psycho-sociologiques. La résilience numérique pourrait sembler venir bien après ces besoins primaires. Sous l'angle de l'analyse systémique nous constatons que certains de nos besoins primaires reposent sur des chaines logistiques à flux tendu dépendantes elles mêmes de chaines numériques complexes. Les magasins alimentaires ne disposent en moyenne que de 3 jours de stock, et des perturbations prolongées sur une vaste échelle pourraient provoquer de sérieux problèmes.

Supply Chain

Rappelons que les systèmes numériques et de transport logistiques dont nous sommes totalement dépendants reposent sur l'énergie. Pour en revenir au schéma précédent, nous sommes dans des systèmes fortement connectés et interdépendants et donc en principe très fragiles en cas de choc à vaste échelle. Sauf que le système dans lequel nous vivons est très robuste dans les conditions actuelles, et il n'a jamais subi de choc qui provoquerait son effondrement.

Les risques existent pourtant. Une forte éruption solaire atteignant la terre comme l'événement de Carrington de 1859 provoquerait en quelques semaines un effondrement total de la civilisation industrielle et aurait pour conséquences des milliards de morts en quelques mois. Alors qu'il y a 2 siècles cet évènement a provoqué des perturbations dans les communications (mais aussi des télégraphistes victimes de violentes décharges électriques et plusieurs incendies de station de télégraphie), il n'aurait même pas été perçu dans l'histoire humaine pré-industrielle, sauf la beauté des aurores boréales provoquées par les tempêtes solaires, bien sûr. Aujourd'hui elles nous feraient disparaitre, mais cela n'a pas l'air de préoccuper les populations et encore moins les technocrates voulant numériser la totalité de nos vies et de nos systèmes. Insouciance ou arrogance ? Les deux, certainement, mais aussi focalisation sur un extraordinaire moyen pour servir la volonté de contrôle totalitaire à tout prix : surveillance, influence, formatage des opinions, domination, insinuation dans toutes les vies, du début à la fin.

La nature est parfois providentielle, souvent cruelle, et toujours là pour nous rappeler notre place dans l'univers : insignifiante.

Tempête Solaire et électricité

Mais revenons plus précisément sur le numérique, connecté à internet. Il est partout et régit la plus grande partie des activités : les systèmes qui nous alimentent en eau, énergie, les chaines logistiques dont j'ai déjà parlé, les systèmes de transport, de régulation, de fonctionnement et de sécurité des bâtiments et des infrastructures qui nous entourent. Un système de secours, de santé ou de sécurité qui n'a plus de systèmes de communication devient inopérant et un facteur de risques mortels en cas d'urgence. Il se trouve qu'en France, les réseaux de communication des pompiers et autres acteurs du secours d'urgence et de la sécurité reposent sur des systèmes numériques.

Centre d'appel d'un Service Départemental d'Incendie et de Secours
Centre d'appel d'un Service Départemental d'Incendie et de Secours

Plus intimement dans notre quotidien le numérique connecté est omniprésent : nos achats (systèmes bancaires et terminaux de paiement...), communications, enseignement, loisirs, et pour beaucoup d'entre nous, dans le travail. Les systèmes numériques (ordinateurs, téléphones) et les services auxquels ils sont connectés via internet sont devenus indispensables dans beaucoup d'activités professionnelles.

Mon poste de travail gersois
Mon poste de travail gersois

Un aspect à ne pas négliger, c'est la dépendance extrême aux activités sur smartphone et autres appareils connectés : usages des médias sociaux, consommation de séries télévisées, jeux en ligne, etc. En cas de coupure des réseaux numériques, on pourra voir des phénomènes de manque et de nervosité venant ajouter des tensions et des difficultés lors de situations dégradées.

J'ai déjà parlé des risques liés à l'ultra-connexion dans un billet il y a 11 ans.

Lire la suite

Ces questions de résilience numérique et de cybersécurité personnelle, professionnelle, communale et locale seront abordées dans le second et le troisième et dernier billet de cette série.

1 Commentaire
  • Kairos's avatar
    Kairos
    Publié à 00:03, 17 août 2023 Répondre

    Très intéressant cette approche sur la résilience du numérique. On n’imagine pas les interconnexions existantes avec des choses vitales. Mieux vaut limiter la casse et anticiper le coup. Hâte de lire la suite.

Poster un commentaire
Gravatar profile

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.