Résumé
Après 15 ans de pratique, mon premier billet sur un métier trop vaste, celui d’ergonome, dont le nom est galvaudé, déformé et caricaturé à l’extrême. J’y évoque de nombreux aspects, en balayant les domaines des facteurs humains et organisationnels jusqu’à l’ergonomie web, les connections avec le marketing et le design graphique, la cohabitation entre métiers de la conception, le fait que l’ergonomie d’un dispositif et l’expérience utilisateur est une construction collective et non pas l’affaire d’un seul expert.
Attention, Explicit Words
Attention, le présent texte contient des mots grossiers qui peuvent être nuisibles aux padawans (apprentis) ergonomes : « connerie », « bullshit » (caca de taureau) et « branlette ».
Comment ce billet a muri
Il y a quelques temps, j’ai décidé de me lancer dans un petit point lexical sur les composants d’interfaces graphiques utilisateur à l’usage des concepteurs. Comme il y a pas mal de choses à dire, je me suis dit que j’allais plutôt faire une série de billets.
Finalement, je n’écris pas de billets sur la conception ergonomique dans ce blog, alors que j’exerce le métier d’ergonome. Ça n’a jamais été la ligne éditoriale de ce blog. Il y a bien ce billet récent sur les Rich Internet Applications, qui a été publié également sur le Journal du Net, où j’aborde quelques questions d’ergonomie des interfaces hommes-machines. Mais attention, l’ergonomie des interfaces hommes-machine n’est pas l’ergonomie, qui est un domaine bien plus vaste (je vais y revenir plus bas). Et l’ergonomie web, elle, n’est qu’un sous-ensemble de l’ergonomie des interfaces hommes-machines qui a ses propres spécificités : l’ergonomie web est une ergonomie d’un produit : le web.
Quand j’ai commencé à rédiger le brouillon de la première série de billet à paraître (un lexique des composants), je me suis rendu compte que dans mon texte, je profitais de ce thème pour commencer à me défouler sur toutes les conneries que j’entends sur l’ergonomie et les ergonomes depuis de nombreuses années. Sans doute parce que je suis resté trop longtemps silencieux.
Alors je me suis dit que j’allais en faire un billet à part, sous forme de coup de gueule, pour me défouler, et pour être en phase avec la baseline de ce blog : « Ce qui n’est pas partagé est perdu ».
Préambule de non-propagande
Avant de continuer, je précise que l’objet ici n’est pas de faire du corporatisme pour la profession d’ergonome, qu’on se le dise. Et ce n’est pas moi qui le dit : allez voir certaines recommandations sur mon profil LinkedIn, ça devrait suffire à vous convaincre que je ne suis pas un intégriste de l’ergonomie. Les conneries que j’entends sur l’ergonomie me fatiguent. Mais à vrai dire rien ne me fatigue plus encore que les discussions entre certains ergonomes. La liste ErgoIHM contient le plus souvent de l’entraide, des offres d’emploi et des échanges intéressants, mais on a pu parfois y lire ces débats récurrents et corporatistes auxquels je fais allusion (oui, toi qui sais de quoi je parle, tu souris, ou tu grinces les dents ? Tu me dis « vas donc sur ErgoListe, hein ? »).
Cela fait 15 ans que j’exerce le boulot d’ergonome, dans à peu prêt toutes ses dimensions : les postes de travail (au sens physique), le vaste domaine des facteurs humains et organisationnels, et les IHM (interfaces hommes-machines) professionnelles ou grand public, et ce dans des secteurs variés, voir quelques exemples de mes réalisations sur mon porfolio. Ça ne veut pas dire que je suis un bon ergonome, mais plutôt que j’arrive à un âge avancé où l’on s’octroie le droit d’écrire des conneries.
Cela veut dire aussi que je ne pourrai pas rentrer dans la guerre stérile entre les ergonomes facteurs humains et organisationnels dans les entreprises, et les ergonomes qui travaillent plutôt pour les applications et sites grand public. Qu’on soit de droite ou de gauche, on est hémiplégique, disait Raymond Aron. Chères consœurs et confrères je veux vous rassurer : bosser à la fois sur les facteurs humains et organisationnels en entreprise et sur les IHM grand public ou métier ne m’a pas rendu bipolaire ou psychotique (enfin, je pense…). Je dirai même que la distinction entre ces domaines n’a pas lieu d’être et que nous ferions mieux de défendre notre métier au lieu de nous friter entre nous, et intelligemment, sans rentrer non plus dans un corporatisme stupide et improductif tant le besoin d’ouverture et de lutte contre les lieux communs est fort dans notre métier.
Mais au fait, c’est quoi l’ergonomie ? Et un ergonome ?
Tous les matins, pour relativiser, je me dis : dans « ergonome », il y a « gnome ». Ça me fait beaucoup de bien.

En fait, aujourd’hui, tout le monde connait l’ergonomie, où plutôt, croît la connaître. Hier encore, lors du quart d’heure de culture auquel je me contrains quotidiennement pour ne pas sombrer dans l’ignorance, j’entendais sur TF1, dans l’émission « Le juste prix », une des « gafettes » parler d’ergonomie, au sujet d’une poignée d’aspirateur me semble-t-il (les « gafettes » sont les assistantes du présentateur Lagaf’ pour les rétifs des jeux télévisuels). Dans la publicité d’intermède durant la dite émission télévisuelle, un clip faisait la promotion d’un tube de joint de silicone avec poignée ergonomique. Du coup, pour le commun, l’ergonomie c’est une affaire de poignée. Et de là à dire que l’ergonomie, c’est de la branlette, il n’y a vraiment plus qu’un pas à franchir, ou un petit coup de poignée si vous préférez.
En fait, l’ergonomie, ça serait donc lorsqu’une partie d’un produit avec laquelle l’homme est en contact est un peu mieux dessinée (esthétiquement…) que les produits concurrents ou d’entrée de g77amme de la marque. Voilà, pour faire court, comment le marketing s’est approprié l’ergonomie pour en faire un argument de vente, et a complètement déformé et occulté sa réalité. Pour l’instant, ici, nous restons au niveau de l’ergonomie d’un produit matériel et de l’imagerie véhiculée par les médias de masse. Le design avec lequel l’ergonomie est souvent confondue, se préoccupe à la fois de l’utilisabilité et à l’aspect esthétique du produit, là ou l’ergonomie se concentre sur l’efficacité, et bien sûr aussi de l’utilisabilité. Les designers, comme les ergonomes, souffrent également de confusions réductrices. En effet, en France, on utilise souvent le mot « design » en le réduisant au design graphique ou à l’aspect esthétique du produit. Alors que le design couvre la totalité des aspects de la conception, à commencer par l’étude des usages. Les liens avec l’ergonomie sont alors évidents.

Le design, est-ce pratique ou esthétique ?
Ce n’est que fonctionnel.
L’objet est esthétique seulement dans la mesure où il a d’abord totalement répondu à sa demande ergonomique (…)
Le design permet d’éclairer la fonctionnalité.
Philippe Starck
Pour un autre versant marginal mais très visible de l’ergonomie, l’ergonomie web et des applications logicielles grand public, dans ce monde de digital natives qui sont persuadés que l’ergonomie n’existe que dans le monde du web (là où on en a sans doute le moins besoin) et depuis l’effondrement des tours du World Trade Center (même le monde n’existait pas avant), c’est encore une autre type de caricature bien plus nocive qui est à l’œuvre. En effet, combien de fois ai-je entendu la phrase qui fait hérisser tout ergonome normalement constitué : « l’ergonomie, c’est tout simplement une affaire de bon sens ». Le « bon sens » dont un professeur en ergonomie toulousain disait crûment qu’il est « la connerie unanimement partagée par un groupe homogène ».
Alors l’ergonomie c’est quoi ? La mise en application de la connerie ? Cela nous prendra 10 secondes d’aller vérifier sur Wikipédia : c’est « l’étude scientifique de la relation entre l’homme et ses moyens, méthodes et milieux de travail » et l’application de ces connaissances à la conception de systèmes « qui puissent être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité par le plus grand nombre ». La « conception de systèmes » cela veut dire qu’un ergonome va étudier et potentiellement agir sur tout l’écosystème de l’homme avec son environnement de travail :
- Le poste de travail au sens environnemental et physique : acoustique, luminosité, atmosphère, dimension, forme et fonctionnement des dispositifs, au regard des caractéristiques mécaniques et motrices humaines, anthropométriques, physiologiques, sensorielles, les rythmes biologiques, etc.
- Les processus et les flux dans lesquels s’exécute l’activité, en prenant en compte les aspects individuels et collectifs sur les plans psychosociaux, stratégiques (et managériaux), organisationnels (au sens très large du terme), mais aussi les dimensions temporelles (saisonnalités et horaires de travail, fluctuation des activités), logistiques.
- Les processus cognitifs mis en œuvre, en prenant en compte les aspects liés à l’apprentissage, l’expertise, les régulations de l’activité mentale, dans ses dimensions individuelles et collectives.
- La prise en compte de ces mécanismes humains dans leur ensemble : physiologiques, cognitifs et psychosociaux et leur rôle dans la régulation de l’activité de l’opérateur humain.
- Les dispositifs avec lesquels les individus interagissent avec le système, et parmi ceux-ci, les outils de commandes mécaniques ou informatiques.
Remarquez que l’on va un petit peu plus loin que l’esthétique d’une poignée d’aspirateur, où le choix entre un menu de navigation vertical ou horizontal sur un site web… Vous comprenez mieux que lorsqu’un individu se dit ergonome et qu’il sous-tend que cela ne concerne que l’application de bon sens et de bonnes pratiques sur des sites web, ou pire, qu’il assimile ça uniquement à du design graphique, ça a tendance un peux à m’agacer. Mais au fait, a-t-on vraiment besoin d’un ergonome, en particulier dans le monde du web et des applications grands public ? Cela reste à prouver. C’est à nous de le montrer.
Un ergonome est un analyste du travail dont la tâche est de créer des situations où les opérateurs humains sont placés dans de meilleures conditions de confort, de sécurité et d’efficacité. Confort, on voit là le profit pour les opérateurs. Efficacité, on voit celui de l’entreprise. L’intérêt commun est dans la sécurité, la diminution des accidents de travail. Par extension, au niveau de l’ergonomie web par exemple, traduisez cela par l’amélioration de l’expérience utilisateur (User eXperience) pour l’internaute, et du côté du site web l’augmentation du taux de conversion, ou du « bon click » et du chiffre d’affaire.
Marketing de l’ergonomie : faire du neuf avec du vieux, ou carrément du bullshit
Même si les applications, les affichages et les modes d’interaction se diversifient sur les interfaces hommes-machine (tablettes tactiles, consoles avec capteurs de mouvements, etc.) et bien se sont toujours les mêmes composants de base qui sont utilisés depuis très longtemps, même si certains ont évolués et connaissent de nouvelles déclinaisons.

de l’antiquité

avec autocomplétion catégorisée,
en JQuery « Mon Dieu que c’est beau » :
Et pour ceux qui croient qu’on peut révolutionner tout cela, et bien qu’ils aillent vendre leurs bullshits ailleurs. J’ai un souvenir récent d’une maquette d’interface 3D qui avaient été conçue pour naviguer dans des données, et qui avait été présentée comme révolutionnaire. Le résultat était une interface qui donnait la nausée aux utilisateurs (cinétose), comme cela était d’ailleurs prévisible. Laissez ensemble un responsable de l’innovation en manque de reconnaissance en interne chez un client et un directeur de création border-line dans une pièce, vous êtes à peu près certains qu’ils vont vous pondre une grosse daube inutilisable. Mais qu’est-ce que vous voulez, il faut bien que ces pauvres gens fassent quelque chose pour se rendre intéressants. Leurs métiers ne consistent pas à imaginer des choses utilisables. Nous sommes donc de fait leurs ennemis jurés. Dans un tel contexte la seule chose que peut faire un ergonome est de distribuer des gifles. En ce qui me concerne, ça fait longtemps que je ne fréquente plus les mêlées de derbies de rugby à 15 du Sud-Ouest, plus appropriées pour cela (les gifles, pas l’ergonomie, vous aurez compris). Si ça vous plaît, ne vous inquiétez pas, je vais distribuer quelques « bourre-pif » un peu plus bas.
Désolé de vous décevoir, mais les incroyables interfaces que vous voyez dans les films de science fiction à la Minority Report ou les séries policières scientifiques (vous savez, les machins qui font bipbip sans arrêt) seraient le plus souvent totalement inutilisables et/ou insupportables dans la réalité. Regarder un spectacle passivement et interagir sont deux choses différentes. Pour les choses les plus innovantes tout en restant utilisables, allez voir plutôt dans le domaine de certains jeux vidéos. Nous pouvons quand même faire des choses très sympathiques à utiliser aujourd’hui, ne vous inquiétez pas. Les technologies et les devices ont pas mal évolué (c’est un des volets de mon billet sur les RIA – Rich Internet Applications), mais nous resterons toujours dans la limite de faire des choses qui soient utilisables, agréables et efficaces.

Avant de me lancer dans un prochain billet qui sera un lexique des composants, l’important était donc de commencer par arrêter de se gargariser de termes pompeux de marketeux qui font du neuf avec du vieux. C’est un peu ce que fait Apple, mais eux, au moins, ont le mérite de très bien le faire, et ça leur fait gagner beaucoup d’argent. Par exemple, la sortie en fanfare l’année dernière de la fonction copier-coller sur l’iOS de l‘iPhone, alors que le copier-coller a été inventé 36 ans avant par Xerox, c’est à mourir de rire. Ça ne veut pas dire que je jette la pierre à Apple. Bien au contraire. Steve Jobs est sans doute un des meilleurs chef de produit du monde, il a sans doute amené le marketing à son apogée, et lui et sa firme ont beaucoup contribué à la mise évidence de l’importance du design de produit et de l’ergonomie, son rôle fondamental pour l’efficacité des applications et l’amélioration de l’expérience utilisateur… et du chiffre d’affaire… Et certains ont donc très bien compris que l’ergonomie, maintenant, c’est vendeur (sans savoir ce que c’est). Donc maintenant tout le monde est ergonome, chouette. Ça y est, j’y ai mis le temps, mais nous sommes enfin arrivés au cœur du sujet.
L’ergonomie : du grand n’importe quoi
L’ergonomie est vendeuse. Mais la majorité des ergonomes ne sont pas des vendeurs. En effet leur travail ne consiste pas à faire des trucs vendables, mais des trucs utiles, efficaces, utilisables et agréables à utiliser.
A l’inverse, il y a des gens, plus particulièrement dans les métiers autour de la conception d’applications informatiques, sites web, applis mobiles, etc., qui sont de bons vendeurs, puisque c’est un secteur porteur. Certains sont vendeurs de bullshits. Ils pourront donc même se vendre comme ergonome alors qu’ils ne le sont pas. Il profitent en effet du terrible flou qui plane autour de ce métier trop vaste, dont le nom est galvaudé et caricaturé à l’extrême dans le discours publicitaire et du marketing : « ce truc là c’est ergonomique, donc c’est mieux ».
Je me rappelle avoir fait passer récemment un entretien à un candidat plutôt profilé webmarketing, qui avait mis « expert ergonome » dans son CV. Il n’a même pas eu la décence de me donner la modeste définition apprise par cœur sur Wikipédia (voir plus haut) quand je lui ai demandé de me parler d’ergonomie. A l’inverse, je me rappelle avoir fait passer un autre entretien à une CP (chef de projet) aguerrie d’agence web, qui donnait une définition pertinente et compréhensible de l’ergonomie web, qui était fondée sur du vécu. C’est rassurant…
L’ergonomie, c’est donc merveilleux, et toute une nuée de charlatans se jettent sur l’aubaine pour nous la mettre à toute les sauces et nous la vendre n’importe comment. Même dans les entreprises, on recrute des ergonomes pour en mettre dans tous les projets, sans vraiment savoir de quoi il s’agit quelquefois. A la limite on s’en fout complètement, s’il y a un ergonome et qu’il met son tampon pour approuver le projet, c’est tout ce qu’on lui demande ? J’exagère sans doute. Mes chères consœurs et confrères, prenez garde quand même de ne pas être instrumentalisés, et de contribuer à la dévalorisation du métier. N’oubliez pas aussi par exemple, qu’à certains moments, des entreprises n’ont pas voulu écouter des ergonomes, et ont laissé des méthodes de management et des modèles d’organisation inhumains faire des ravages. Ces mêmes entreprises rappellent maintenant les ergonomes et les psychologues du travail à la rescousse pour réparer les dégâts.
Si les entreprises recrutent des ergonomes, ne crachons pas dans la soupe, mais ne vous y trompez pas : c’est une opportunité mais aussi un défi pour mieux faire connaitre notre métier et ses méthodes, et notre véritable apport. Ne nous endormons pas sur nos lauriers et la voie royale que le développement du numérique et d’internet nous a tracé (pour l’ergonomie des interface hommes-machines), mais aussi le vieillissement de la population, les drames au travail ou l’obsession sécuritaire de notre civilisation (pour l’ergonomie des facteurs humains et organisationnels, des postes de travail et des risques psychosociaux). Je vois toute une série de jeunes diplômés arrivant avec le vent en poupe et en terrain conquis, je leur dis : mesurez bien votre chance. Mais je vois aussi des jeunes diplômés pleins d’enthousiasme et d’idées qui viennent secouer les vieux ergonomes qui se sont endormis, et ça c’est par contre très bien !
L’ergonomie d’un dispositif et l’expérience utilisateur est une construction collective et non pas l’affaire d’un seul expert
Pour rester dans le domaine des sites web et des applications informatiques, ce sont toute une série de métiers qui vont contribuer au résultat final. Vous pouvez concevoir la plus fabuleuse application qui soit, si jamais par exemple l’interface est lente, peu réactive, pas fluide, les temps de réponse mauvais, alors l’expérience utilisateur sera catastrophique. Ce sont tous les acteurs de la chaine de conception qui sont impliqués dans le résultat final, et il faudra avoir affaire à toutes les contraintes qui peuvent peser sur la conception, ce qui amènera à des dilemmes, des choix et des compromis.
J’ai dit plus haut que le travail de l’ergonome ne consiste pas à faire des trucs vendables, mais des trucs utiles, efficaces, utilisables et agréables à utiliser. Mais il n’est donc pas le seul à contribuer à ce résultat. Les soit-disant concurrents des ergonomes sur le marché des IHM : consultants UX et autres interaction designers qui disent être les experts garants de l’expérience utilisateur sont le plus souvent des vendeurs de bullshits ceux-là aussi. Un seul homme n’est pas porteur et garant de l’amélioration de l’expérience utilisateur. Ce sont tous les acteurs de la conception qui y contribuent : les architectes du système d’information, les développeurs, les concepteurs au sens large (parmi eux certains ergonomes), les designers, les rédacteurs de contenus et contributeurs, certains métiers du marketing pour la stratégie et la mise en valeur des produits et services, les chefs de projet (auquel je rends un hommage sincère, car ils doivent composer avec ce panier de crabes et parfois avec le harcèlement des clients), et les utilisateurs eux-même. C’est là où j’en arrive à une prise de position qui me semble essentielle : ce n’est pas d’un « expert User eXperience » dont on a besoin pour la conception, mais de tout le monde. Par contre, pour la prise en compte des utilisateurs, vous avez besoin de personnes qui utilisent des méthodes de conception centrées sur les utilisateurs (User Centric).

Car enfin, il est quand même dramatique que l’on doive sans cesse poser cette question simple : comment peut on concevoir des choses amenées à être utilisées sans prendre en compte les caractéristiques et les attentes (y compris d’être surpris) des utilisateurs de ces dispositifs ??? Et c’est là que l’on a besoin des spécialistes des études utilisateurs : on y retrouvera les études marketing, ceux qui se préoccupent des caractéristiques des utilisateurs en tant que « cibles » et se concentrent sur les produits, les services et les tendances, et des spécialistes de l’étude de l’activité et du comportement : les experts de la mesure du trafic et du suivi des indicateurs d’activité et de production, et les ergonomes usant notamment de méthodes ethnographiques (analyse de l’activité) et autres experts des études utilisateurs. Ceux qui ne parlent plus que de « User eXperience » parce que c’est le mot à la mode, ne doivent pas oublier que les seuls à pouvoir mesurer l’eXpérience Utilisateur sont les experts des études utilisateurs dont je viens de parler et les utilisateurs eux-mêmes.
Si j’ai un conseil à donner à certains ergonomes, arrêtez de passer votre temps en openspace à vous battre avec les autres métiers de la conception pour savoir si le bouton doit être décalé de 20 pixels à droite, car dans ce cas vous n’êtes plus des ergonomes. Votre place n’est pas non plus en en réunion pour essayer de faire comprendre ce qu’est l’ergonomie, ou de passer votre temps dans les colloques corporatistes.

Trouvez plutôt tous les moyens à votre disposition pour observer la réalité, aller sur le terrain, étudier les usages, vous vous y aiguiserez les capacités d’écoute et d’observation qui vous donneront progressivement l’aptitude de repérer rapidement les goulets d’étranglements dans un processus ou un dispositif, les zones à risques, les sources d’insatisfaction, les gisements de productivité, d’efficacité et de satisfaction, fabriquer des pistes de solutions et des idées avec les utilisateurs, et avec les autres analystes de l’activité et concepteurs.
Gardez aussi du temps pour :
- Maîtriser des outils qui vous permettent de concrétiser rapidement et de manière intelligible l’expression des besoins et les pistes de conception.
- Bien comprendre les contextes et les modes et méthodes de réalisation des projets, pour savoir y êtes insérés efficacement et en entrevoir les leviers.
- Comprendre les décideurs, et pourquoi ils veulent vraiment vous utiliser ou qui les y a contraint, cela vous évitera des surprises, des déconvenues et des retours de bâton.
- Passez aussi du temps avec les personnes pouvant vous fournir toutes les données quantitatives sur l’activité, indicateurs de production sur une chaine de fabrication, de logistique ou de vente, ayant des avis sur les variations de l’activité et leurs mécanismes. Si vous êtes dans le monde du web, rapprochez vous des experts de l’analyse du trafic (webanalytique) et de l’optimisation pour les moteurs de recherche (SEO Search Engine Optimization). L’ergonome a besoin de travailler avec des indicateurs de performance dans son analyse des activités des utilisateurs. Mais nous en avons aussi besoin pour dialoguer avec les décideurs, car il faut toujours des chiffres pour prendre des décisions. N’oubliez pas que les données peuvent aussi vous servir pour montrer votre propre valeur ajoutée, le ROI (Return on Investment), le retour sur investissement.
La cohabitation entre métiers de la conception
Heureusement, les acteurs de la conception ne sont pas tous en guerre les uns contres les autres dans de stériles guerres de chapelles. Il y en a certains qui sont ouverts d’esprit, et assez intelligents pour savoir que tous ces métiers doivent bosser ensemble et non les uns contre les autres (c’est du vécu d’agence…) et qu’il faut quand même aussi demander leur avis aux utilisateurs… Ah oui, au fait, je voudrais rappeler encore une fois que nous concevons des applications et des sites pour des clients, mais aussi pour des utilisateurs finaux, qu’ils soient grand public ou en entreprise. Steve Jobs, lui, ne l’oublie jamais. Prenez en de la graine avant de partir dans des délires conceptuels en phase de conception d’une interface utilisateur.
Entre certains qui s’autoproclament ergonomes et qui n’y connaissent rien, ou à l’inverse les « vrais » ergonomes psycho-rigides et poussiéreux du type « touche pas à mon diplôme », il y a toute une une ribambelle de métier qui y mettra son grain de sel. Sur qui je tire en premier ? Allez hop, sur certains développeurs qui se cachent derrière l’ésotérisme de leur langage technique. Vous savez, celui qui vous dit « ah non, ça on peut pas le faire ». Quand un développeur vous dit cela, Il y a 3 réponses possibles :
- La réponse normale : « Dis moi plutôt combien ça coute et combien de temps ça va te prendre, vraiment ».
- La réponse gentille : « Qu’est-ce que tu peux me proposer comme solution alternative ? ».
- La réponse logique « Tu me prends pour une quiche ? ».
Il y a des profils « artistiques » (graphistes, webdesigners et compagnie) qui se préoccupent de l’utilisabilité et savent travailler en groupe, ils sont alors de formidables partenaires de conception qui viendront sublimer l’austère et grisâtre storyboard sur lequel vous vous êtes concentrés laborieusement sur le zoning, les fonctionnalités et les principes de navigation.

Mais il y a aussi certains graphistes (webdesigners et autres directeurs artistiques. etc.) qui se prennent pour des artistes incompris, qui ont oublié que les utilisateurs existaient et qui veulent avant tout se faire plaisir ou se faire mousser. Qu’ils aillent ou qu’ils restent dans les agences de com ou qu’ils s’installent en freelance, mais évitez des les faire bosser sur des dispositifs qui doivent être utilisés par des vrais gens, ça peut être mauvais pour votre chiffre d’affaire. Mais bon, après tout, ce n’est pas grave si on les laisse faire n’importe quoi sur des sites web ou des applications grands publics. Ce serait un peu plus embêtant si on les faisait bosser sur des synoptiques de centrales nucléaires ou des tableaux de bord d’avions. D’ailleurs, pour y avoir été, je ne les y ai jamais vus… Désolé, vendeurs de bullshits, passez votre chemin, et aller faire des sites en flash avec une seule page, avec une belle animation « et puis c’est tout », pour des marques de luxes qui font des sites web surtout parce qu’il faut bien en avoir une. Les vendeurs de bullshits sont forcément plus à l’aise en face des gens de certaines directions de la communication ou du marketing qui ne connaissent rien au web mais qui sont forcés de dépenser un peu d’argent dans la stratégie web de leur groupe, à cause de la montée en puissance de ce canal (au sens marketing du terme), et pour essayer de montrer qu’ils ne sont pas trop « has been ».
Mais même dans le domaine du web, je peux vous garantir que les vendeurs de bullshits font beaucoup moins les malins devant les clients « pure players » du web dont 100% du chiffre d’affaire est généré par leur site. Ces clients là voient vite les vendeurs de bullshits arriver. Par contre, vous pourrez leur parler en toute quiétude d’ergonomie et de performance si vous connaissez un peu votre sujet, vous trouverez des oreilles attentives.
Je passerai rapidement sur certains concepteurs marketings super-vendeurs de méga bullshits qui n’utilisent que des termes anglais parce que c’est mieux, ou les soit-disant consultants UX et compagnie qui n’ont pas besoin des utilisateurs et qui partent du principe que la connaissance de bonnes pratiques, le bon sens, savoir un peu utiliser Adobe Illustrator et un peu de créativité et de veille sont suffisants. Je vous en ai déjà parlé et ils ne méritent vraiment pas que je m’attarde sur leur cas. Mais méfiez vous quand même de certains d’entre eux. Quand ils savent un tout petit peu se servir de Photoshop, leur tête peut éclater à tout moment tellement elle gonfle.
J’ai l’impression que me je suis encore acharné sur le marketing. Je vais donc me rattraper tout de suite, en disant qu’il y a d’excellents consultants e-marketings. Je dirai même que parmi les propositions commerciales et certaines missions auxquelles j’ai pu contribuer, les meilleures sont sûrement celles où j’ai travaillé en complémentaire avec un « super-marketeux » : lui en se concentrant sur la partie stratégie globale d’un site ou d’une application et son contenu, moi sur la performance et l’utilisabilité de l’interface, en collaboration avec un créatif pour le design graphique et un expert technique pour l’univers des contraintes. Vous voyez bien qu’on peut s’aimer.
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