Marché alimentaire

La résilience alimentaire locale doit être la première préoccupation des maires

13 minutes de lecture

Edit du 28 février 2022 : Chaque administré est en capacité d'agir simplement et en sécurité sur les risques de sécurité nationale identifiés ici. Les maires sont tenus par la loi d'être lanceurs d'alertes auprès des procureurs de La République et des préfets. Agissez légalement en envoyant une lettre à son maire et en lui demandant rendez-vous à plusieurs citoyens : sosmaires.org

Résumé

Avec 98% de la nourriture importée dans les territoires et 97% de la production agricole exportée, 2 à 3 jours de réserves alimentaires, des flux tendus reposant sur des systèmes complexes et un pétrole importé à 99% pour le transport, la résilience alimentaire locale est un un enjeu de sécurité nationale dangereusement ignoré.

La prise de conscience et l’anticipation sont des leviers pour mobiliser les citoyens pour une société préparée à l’avenir. La démocratie et l’entraide ne sont pas possibles avec le ventre vide. Cela devrait être une priorité des élections municipales.

Ce billet n’a pas pour but de mettre la pression sur les maires, en particulier au niveau rural, car ils sont déjà abandonnés par l’État. Il s‘agit d’alerter les citoyens et celui qui sera en première ligne en cas de crise majeure.

Résilience systémique (de Resilio — rebondir) capacité d’un système, une communauté ou une société exposée aux risques, de résister, d’absorber, d’accueillir et de corriger les effets d’un danger (…), notamment par la préservation et la restauration de ses structures essentielles et de ses fonctions de base (UNISDR — United Nations International Strategy for Disaster Reduction).

Informations pour administrés, maires élus et candidats

SOS Maires - Autonomie et résilience des communes rurales

Sur ces questions de plans de préparation aux crises, vous pouvez exiger des réponses de la part de votre commune et des candidats aux municipales : vous trouverez des lettres types et de précieux conseils chez SOS Maires. Cette association rassembla de nombreux groupe de lanceurs d'alertes  relaye les informations suivantes, dont certaines sont tirées en partie de l’étude suivante :

À la fin du présent billet, vous trouverez également la présentation de l’ouvrage “Face à l’effondrement, si j’étais maire ?” à lire et à offrir aux candidats aux municipales.

DICRIM et obligation des mairies

DICRIM : Dossier d’Information Communal sur les RIsques Majeurs

Alexandre Boisson, expert en sécurité systémique, fondateur de l'association SOS Maires et de la société de conseil Géorésilience fait le point sur la situation.

L’information sur les risques majeurs à l’échelle communale.
Occurrence et facteurs explicatifs du DICRIM, un outil préventif sous-utilisé” Cette étude a été soutenue par le projet CEMORAL (Conscience, Evaluation et Mise en Œuvre des outils de prévention sur le Risque Inondation — Application sur le bassin de la Loire), financé par l’Etablissement Public Loire et le fonds FEDER (2011–2013).

Près de 28000 communes sur 35000 ont l’obligation de réaliser un le DICRIM (Dossier d’Information Communal sur les RIsques Majeurs) qui est le premier volet du Plan Communal de Sauvegarde (PCS), ce dernier concernant la totalité des communes. Le PCS vise à planifier les actions des acteurs communaux de la gestion du risque (élus, agents municipaux, bénévoles, entreprises partenaires) en cas d’évènements majeurs naturels, technologiques ou sanitaires, afin de protéger la population.

DICRIM Document d'Information Communal sur les Risques Majeurs

Le DICRIM doit être rempli par les mairies. C’est une obligation légale. Les administrés doivent être informés des mesures prises en cas de crise majeure, ceci pour assurer la sécurité publique. Le Maire lui-même est Officier de Police Judiciaire selon l’article 16 du Code de Procédure Pénale. Le procureur de la République peut estimer qu’il y a mise en danger de la vie d’autrui après l’étude d’un dossier mettant en évidence qu’il n’y a pas de mesures prévoyant la protection des administrés comme l’exige la loi.

Le maire doit assurer l’ordre public sur le territoire de la commune (art. L2212–2 du Code Général des Collectivités Territoriales — CGCT). Il dispose pour cela de pouvoirs de police. La responsabilité de la commune est engagée en cas de fautes. Le maire, dans des cas graves, peut être poursuivi personnellement (art. 121–3 du code pénal).

DICRIM incompleTs : faille de sécurité nationale

Aujourd’hui la S.O.S. Maires fait le constat suivant : beaucoup de communes n’ont pas remplis leur DICRIM, d’autres sont très incomplets*, et les risques liées aux ruptures des chaines d’approvisionnement des réserves alimentaires ne sont jamais abordés. Les autorités locales s’en remettent au préfets et aux dispositifs prévus par les plans ORSEC (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile) à l’échelon départemental.

(*) voir notamment “La Route En Communes” formidable travail d’Ulysse Blau, qui a fait un tour du Calvados (Normandie) à vélo pour aller interviewer les maires de 64 communes. Les DICRIM n’étaient présents que dans 55 % des mairies, et parmi celles-ci-ci seuls les deux tiers ont joué le jeu de produire un document complet et utilisable, pas uniquement par obligation légale.

Prévention des risques majeurs

L’État français met à disposition du public le site gouvernement.fr/risques permettant de s’informer sur les différents risques majeurs, les dispositions prévues face à ces risques. Il est notable que ce site donne des consignes aux citoyens pour que ceux-ci soient mieux préparés et mieux informés. Ceci est crucial : cela signifie que l’État reconnait ici implicitement que le citoyen a une responsabilité dans la préparation et la prévention des risques.

Risques alimentaires liés aux dépendances systémiques et énergétiques

Extrême dépendance des réserves alimentaires aux flux logistiques

Dans ce reportage, Stéphane Linou, pionnier locavore (consommer local) et lanceur d’alertes, rappelle :

"L’autonomie alimentaire d’une ville comme Toulouse est de 2%. Et les produits du Lauragais tout proche sont exportés ailleurs."

Cela correspond à la moyenne nationale : les territoires importent en moyenne 98% des produits de première nécessité et exportent 97% de leur production agricole (source ci-dessous), bien souvent des matières premières issues de la monoculture, qui seront transformées industriellement ailleurs.

AUTONOMIE ALIMENTAIRE DES VILLES - Etude UTOPIES

Dépendance des flux au pétrole, énergie de la mobilité

Ces 98% d’importations alimentaires nécessaires à notre survie reposent sur des chaines d’approvisionnement en flux tendu permettant de 2 à 3 jours de réserves locales en moyenne (rotation des stocks en magasin), dépendantes du transport par le pétrole, importé à 99 % et soumis aux tensions géopolitiques. Sachant que dans le contexte d’escalade guerrière entre les USA et l’Iran, cette dernière ciblait déjà des attaques militaires (attaques par drones de raffineries) contre l’Arabie Saoudite (et je ne parle même pas des autres protagonistes et jeux d’acteurs). 35% de la production mondiale de pétrole transite par le détroit d’Ormuz.

Carte Moyen-Orient avec pourcentage d'exportation de pétrole transitant par le Détroit d'Ormuz

En France la mise en place de stocks stratégiques ont été instaurés par la loi Billardon (1992) représentant un volume équivalent à 29,5 % des ventes de l’année précédente ce qui laisse un peu plus de 90 jours d’autonomie. Ce stock est assuré majoritairement par la SAGESS (Société Anonyme de Gestion des Stocks de Sécurité) exclusivement financé sur fonds privés. Le transport par camions citernes sur de longues distances (plusieurs centaines de kilomètres) s’est substitué au transport par voie ferrée, augmentant les dangers de sinistres pour le public.

Imbrication des flux et dépendances entre électricité et pétrole

Chez nous comme ailleurs dans les sociétés dites “modernes” l’acheminement des marchandises repose sur des systèmes d’information en réseau, soumis à des risques de défaillance et de cyber-attaques, qui se multiplient. Ces infrastructures sont dépendantes de l’énergie électrique, essentiellement assurée par l’uranium, dont 100% est importé (même si le sous-sol français contient de l’uranium).

"L’approvisionnement est assuré en partie par AREVA qui, à la différence de ses concurrents, est implanté dans toutes les grandes zones de production (sauf l’Australie). Il faut savoir que son portefeuille diversifié assure à la France des réserves correspondant à 28 années de consommation du parc nucléaire actuel. Pour prévenir les aléas (pénuries, hausse des coûts du métal, etc.), EDF, en accord avec l’État, diversifie ses fournisseurs d’uranium en limitant à 40 % la part de son approvisionnement par AREVA. Par ailleurs, l’exploitant détient sur le territoire français des stocks stratégiques correspondant à 3 à 5 années de consommation." L’uranium dans le monde, SFEN.

Malgré toutes ces sécurisations en terme de stock, l’acheminement de l’uranium et le fonctionnement des centrales nucléaires est dépendant du pétroleCette contrainte est extrêmement critique. Rappelons que les personnes qui assurent la supervision et la maintenance doivent pouvoir se déplacer, être nourris, et être assurés de la sécurité de leurs proches... Tout comme les chauffeurs, pilotes et autres capitaines des convois d’acheminement des différents matériaux et matériels.

Infographie représentant le cycle du combustible nucléaire
Source : CEA Commissariat à l'énergie atomique

L’uranium subit plusieurs opérations de transformation avant d’être acheminé sous la forme de combustible final, par voie ferroviaire, qui repose sur l’énergie électrique. À titre d’information chaque année SNCF consomme pour la traction de ses trains électriques l’équivalent de la production annuelle d’un réacteur nucléaire de 900 mégawatts, soit l’équivalent d’un réacteur sur les 54 en services en France.

Des risques systémiques complètement occultés

Le « confort » assuré par le maintien en condition opérationnelle des flux assurant les fonctions support / vitales (eau, électricité, assainissement, logistique des produits de première nécessité et des systèmes de chauffage, santé et sécurité, communication…) est un piège mortel : paradoxalement, l’illusion de permanence de ce confort nous rassure, alors qu’en réalité il nous met en grand danger compte tenu de notre dépendance à ces systèmes logistiques extrêmement fragiles et vulnérables. Parce qu’ils sont complexesSi un seul élément dysfonctionne, tout le système est hors service rapidement.

À droite sur le schéma, un système de type homogène avec des dépendances fortes. Les pertes locales ont tendance à être “réparées” par des entrées secondaires provenant d’unités connectées, jusqu’à ce que le système s’effondre à un niveau de contrainte critique. Un système composé d’éléments fragiles (commune, quartier et niveaux supérieurs) reposant sur des chaines logistiques à flux tendus (produits de première nécessité et énergie) présente ces caractéristiques.

Je vous laisse imaginer la situation si les rayons des magasins sont vides au bout de 3 jours. C’est bon ?

À gauche sur le schéma, un système hétérogène composé d’éléments différenciés. Leur connectivité incomplète est à l’origine de la modularité. Ils ont une meilleure capacité d’adaptation en ce sens qu’ils s’adaptent progressivement au changement. Ils sont plus autonomes et sont moins soumis aux réactions en chaine et à l’effondrement. Ils ont donc de meilleures capacités de résilience. Appliqué à notre contexte, il s’agit d’un système composé de communes et quartiers disposant d’une certaine autosuffisance hydrique, alimentaire et sanitaire, et une réduction des dépendances aux échelons supérieurs en maximisant également l’autonomie médicale, énergétique, sécuritaire, économique et en systèmes de communication.

Les premières actions seraient le stockage local et précautionneux de denrées alimentaires chez les ménages, car le stockage stratégique alimentaire d’Etat n’existe pas. Puis la mise en œuvre de politiques et d’actions locales pour construire la résilience locale.

La résilience alimentaire locale, une nécessité vitale

Elle devrait être le sujet prioritaire de tout citoyen et n’importe quel responsable politique. Elle est directement liée à la reprise en main du politique par le citoyen, selon les principes de subsidiarité ascendante et de suppléance : la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action. Elle part du bas (ascendante). Cela ne viendra pas d’un État jacobin omnipotent imbriqué dans un système globalisé qui a créé les conditions (descendantes) des dangers décrits ici.

Le livre “Face à l’effondrement, si j’étais maire ?

Après avoir développé des éléments de contexte de risques d’effondrements systémiques, Alexandre Boisson, expert en sécurité systémique, apporte des réponses et des solutions pour organiser l’autonomie des services vitaux des communes, sans rien attendre de l’État, afin de préparer les territoires à l’autonomie et les rendre les plus résilients possibles : approvisionnement en eau, nourriture, énergie, services de santé, etc. avec des annexes concrètes. Livre à lire et à offrir aux candidats aux élections municipales.

Logo Géorésilience

Géorésilience

Alexandre Boisson est fondateur de la société de conseil Géorésilience, pionnier de l’anticipation et de la gestion des nouveaux risques majeurs.

Le livre et blog de Stéphane Linou : Résilience alimentaire et sécurité nationale

Préfacé par un colonel de l’armée de terre et un géographe, cette enquête réalisée au sein de “mondes qui se parlent peu” : défense, agriculture, sécurité, alimentation, risques, société civile, analyse un impensé: sommes-nous réellement préparés à une pénurie alimentaire ? Il a servi de base au dépôt d’un projet de résolution par Françoise LABORDE au Sénat, voir le compte rendu intégral des débats tenus en séance le 12 décembre 2019.

Association Les Greniers d’Abondance

Les 2 chercheurs à l’initiative de cette association mettent à la disposition des territoires un guide afin structurer les politiques publiques locales autour de la résilience alimentaire et le développement local.

Le site web resiliencealimentaire.org fournit au public des éléments d’analyse avec un état des lieux des systèmes alimentaires et de leur vulnérabilité, ouvre des pistes de réflexions sur la mise en place de systèmes alimentaires locaux. L’association participe à la construction de politiques de résilience territoriale au travers du projet ORSAT, un programme de recherche-action rassemblant des équipes de recherche, des associations et des collectivités, avec un territoire pilote, le Grand Angoulême.

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