Exemple de dessin plan de design de permaculture

Analogies des démarches en ergonomie et design de permaculture, autonomie et polyculture

13 minutes de lecture

Résumé

Approches pragmatiques et collaboratives, contextuelles, vision systémique de l'environnement, amélioration des interactions et productivité, l'ergonomie comme le design en permaculture consistent à observer et penser en terme de relations entre les choses / éléments d'un système - design relationnel - et agir, améliorer, harmoniser de manière durable les relations entre les hommes et leur environnement de travail, de vie, nourricier, de cohabitation : la définition même de l'écologie.

En facilitant les échanges, les interactions, la complémentarité et la coopération entre les éléments végétaux, animaux, technologiques low-tech, humains.

Par son agilité, la polyculture a de grandes facultés adaptatives et s'oppose à la monoculture intensive, rigide, lourde, à forte inertie, soumise à de fortes dépendances et aux risques systémiques.

Observation,  démarche pragmatique et collaborative, prise en compte du contexte, vision systémique de l'environnement, esquisses, design et aménagements, création d'écosystèmes, tests et recherche du meilleur confort, de la meilleure productivité, efficience, sécurité, durabilité, plaisir esthétique...

Décidément, ergonomie et design en permaculture ont plus que des analogies. En réalité, ils se confondent dans leur pratique, mais aussi dans leurs principes.

C’est par l’observation que viennent la compréhension mais aussi les idées. Il en est ainsi chez l'homme depuis la nuit des temps. Et les idées seront adaptées à la réalité puisqu’elle aura été observée. Il reste une part d’interprétation de l'invisible, et du risque dans l'imprévisible. C'est pour cela qu'il y a des scénarios et des tests en ergonomie et en permaculture, souvent dans des environnements maîtrisés, réduits, clos, pour éviter des effets de bord, des risques, avant d'engager de l'énergie et des efforts dans la généralisation... Pour voir ce qui marche, ce qui ne marche pas, ce qu'il se passe, comment les choses sont perçues, vécues. Les tests, c'est aussi de l’observation.

Une écologie véritable : améliorer les relations entre les hommes et leur environnement

L'ergonomie, le design en permaculture consistent à observer et penser en terme de relations entre les choses / éléments d'un système - de design relationnel - et agir, améliorer et harmoniser de manière durable les relations entre les hommes et leur environnement de travail, de vie, nourricier, la cohabitation: c'est la définition même de l'écologie...

Photographie avion chauve-souris, bioinspiré, de Clément Ader

L'ergonomie, le design et la permaculture s'influencent mutuellement : l'homme façonne son environnement naturel et à l'inverse, il s'inspire de la nature quand il conçoit des choses, des artéfacts, on parle alors d'écomimétisme et de biomimétisme. En permaculture, un design de paysages mime modèles et relations observés dans la nature.

Ne pas imposer, collaborer et faciliter le changement

Même si on s'appuie sur des normes, des expériences connues et similaires, un style ou une culture, dans toutes ses pratiques, il ne s'agit pas d'appliquer et d'imposer aveuglément des recettes ou des règles d'ergonomie ou de design : modèles d'organisation, d'aménagement, de circulation, de formes, de style...

Le Design, est-ce pratique ou esthétique ? Ce n’est que fonctionnel. L’objet est esthétique seulement dans la mesure où il a d’abord totalement répondu à sa demande ergonomique (...). Le Design permet d’éclairer la fonctionnalité. Philippe Starck, 2019

Le contexte spécifique est à prendre en compte et à observer, analyser : en permaculture, que ce soit la région, les spécificités du terroir, du terrain, orientation et topographie, ressources disponibles, risques, l'analyse des besoins... et en ergonomie et en design :  les contextes d'usages, l'expérience des usagers et des utilisateurs, etc.

La permaculture prend en considération la biodiversité de chaque système et son contexte propre, d’où la notion centrale d’adaptabilité du design, concept également central dans le domaine de l'ergonomie et de l'expérience utilisateur.

C’est une chimère que de prétendre donner une méthode d'Agriculture générale : il en faudrait une différente pour chaque province ou chaque canton ; car chaque province ne doit travailler à perfectionner que ce qu'elle possède, et ne faire d'essais que sur les productions analogues à son terroir. Pons Augustin Alletz, 1760

Il ne s'agit pas de martyriser les sols, d'aller contre la nature, ou tout vouloir changer sans impliquer les différents acteurs de la situation, de contraindre, sous peine de dégradation, de résistance au changement... Il s'agit de travailler avec la nature, composer avec elle, de travailler avec des utilisateurs et des usagers, pour s'appuyer sur la dynamique collective, faciliter le changement, l'adoption, la prise en main et l'utilisation, la coopération, le travail.

Personnes travaillant dans un jardin en permaculture

L'ergonomie et le design, c'est un travail collaboratif et de facilitation, il est en de même pour la permaculture, dont c'est l'essence même : favoriser les échanges, les interactions, la complémentarité et la coopération entre les éléments, les végétaux, entre végétaux et animaux, humains ; jouer sur les emplacements, les agencements (notion de "zone" en permaculture), les circuits ; en contraignant le moins possible ; juste faciliter. Les solutions sont souvent sous nos yeux, et il ne faut souvent pas grand chose : pas besoin de tout retourner, tout détourner, tout arracher. Sauf quand on manque d'humilité, que l'on veut tout écraser. Cela peut s'avérer contre-productif : vaste sujet.

Petits rappels avant de lire la suite et principe de réalité : 75% de ce qui permet de nourrir l’humanité vient de petits producteurs qui ont des fermes familiales de moins de 2ha

Avant toute glorification exagérée de la révolution verte (à partir des années 60, intensification et utilisation de l'irrigation, de variétés de céréales à hauts potentiels de rendements, intrants - engrais ou produits phytosanitaires) et des soit-disantes vertus de la monoculture intensive, on rappellera que 75% de ce qui permet de nourrir l’humanité vient de petits producteurs qui ont des fermes familiales de moins de 2 hectares (Rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, 2014, FAO Food and Agriculture Organization of the United Nations).

Couverture du rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2014 Food and Agriculture Organization of the United Nations

Rappelons aussi qu'une très grande partie des surfaces agricoles ne sont pas là pour nourrir directement les humains mais pour produire de l'alimentation pour l'élevage industriel, et pour cet élevage lui-même.

Les effets de la révolution verte sur la sécurité alimentaire des pays qui l'ont mise en œuvre n'ont pas été mécaniques et sont difficiles à appréhender. Le lien entre le niveau de la production agricole et l'alimentation des populations n'est pas direct.

Les grandes famines historiquement répertoriées n'ont pas été causées par une baisse de la production alimentaire mais par des dynamiques politiques, socio-économiques et un échec de l'action publique qui ont engendré des inégalités dans la redistribution de la nourriture

Amartya Sen, Poverty and Famines : an essay on entitlements and deprivation, Clarendon Press, Oxford, 1982.

Il faut chercher dans la répartition aberrante des richesses la cause de la persistance d'un haut niveau de malnutrition. Jean Ziegler, rapporteur spécial de la commission des droits de l'homme de l'ONU pour le droit à l'alimentation, 2007

Evidemment, quand on parle de permaculture, de polyculture, d'agroforesterie et de sols vivants reposant sur la diversité, s'y oppose l'uniformité et à la mondialisation des pratiques, la monoculture intensive tournée vers l'exportation ou la nourriture animale et recherchant une rentabilité des surfaces (PAS UNE PRODUCTIVITÉ, point développé dans le paragraphe suivant) pour aller se battre dans une guerre des prix sur un marché mondial régit par la spéculation, les lobbies de l'agri-business et les intermédiaires. Tout cela parait bien loin des préoccupations sur la question de l'alimentation, mais une des conséquences est que 80 % des personnes sous-alimentées appartiennent à la petite paysannerie des pays du Sud.

Et remarquez bien que je n'ai pas encore parlé de tous les autres ravages de cette logique et je ne les développerai pas ici : destruction de la faune et des écosystèmes, déclin de la diversité agricole, pollution des nappes phréatiques, appauvrissement des sols, réduction des marges bénéficiaires et appauvrissement des agriculteurs, problèmes de santé publique liés à l'usages des produits phytosanitaires et l'alimentation industrielle, santé des agriculteurs (voir les maladies professionnelles liés aux risques d'exposition aux pesticides dans le régime agricole, rapport du Sénat dans le Proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, 2018, ou encore "Jean-Luc Fabre, vigneron atteint d'un cancer causé par les pesticides").

Armada de moissonneuses batteuses dans un champ immense

L'actuelle crise sanitaire mondiale du COVID 19 met en évidence les risques systémiques dus à la globalisation avec la spécialisation rendue possible grâce aux flux et à la mécanisation reposant sur le pétrole pas cher, l'extrême interdépendance mondiale (exemple : 60 % des actifs médicamenteux proviennent d'Inde et de Chine).

Quand il s'agit de la question vitale de l'alimentation, ce ne sont ni des fédérations bureaucratiques et technocratiques, ni l’État, ni l’Europe et encore moins l’OMC qui doivent en avoir la gouvernance et la souveraineté, mais d’abord les individus et les territoires, par subsidiarité ascendante (et pas descendante de l'OMC ou de l'Europe) afin d’assurer un seuil suffisant d’autonomie et de résilience alimentaire.

Le plus grand événement du vingtième siècle reste sans conteste la disparition de l’agriculture comme activité pilote de la vie humaine en général et des cultures singulières. Michel Serres

Damase Potvin écrivait en 1908 : "Rien n’est meilleur que l’agriculture, rien n’est plus beau, rien n’est plus digne d’un homme libre." L'avenir a montré que le système agricole mondialisé a privé l'homme de sa liberté, et paradoxe terrible, en a affamé beaucoup.

Il n'a pas seulement appauvri des hommes, il a appauvri la biodiversité, les sols, les cultures humaines. Il a standardisé.

Améliorer la vraie productivité et nourrir. Pas enrichir des bureaucrates et des lobbies rentiers

Comme l'ergonomie recherche les meilleurs compromis entre la productivité et le confort, la santé et la sécurité de l'opérateur humain, ce qui guide le design en permaculture est la recherche d'une productivité maximale basée sur l'optimisation des échanges naturels (interactions et coopération naturelles, physiques, végétales, animales…) en dépensant le moins possible d’énergie humaine, animale, d'autres ressources naturelles et non naturelles : efforts mécaniques, machines, carburants, produit transformés (phytosanitaires et engrais, reposant largement sur le pétrole pas cher).

L'agriculture intensive ne recherche pas la productivité. Je ne suis pas agriculteur et je ne suis pas là pour faire mon "Jean-Michel Agronome" (il y a suffisamment d'experts auto-proclamés et champions du "Thread" sur Twitter). En revanche, je peux dire que la question de la productivité et de l'identification des indicateurs de productivité dans les activités humaines est au cœur de mon métier d'ergonome et de sa raison d'être.

Jean-Christophe Bady, paysan à Ansan dans le Gers a fait le choix de ne plus recevoir d'aide de l’État. Ancien agriculteur "repenti" de l'agriculture intensive, il n'utilise ni engrais ni pesticides après avoir eu des problèmes de santé à cause de ceux-ci. Il a fait le choix de l’agroécologie en cultivant grâce aux couverts végétaux (couverture végétale à la place du labour. Difficile à penser, pour certains agriculteurs) : une terre qui s'enrichit (au bout de 5 ans en moyenne) au lieu d'être appauvrie, une productivité supérieure à l'agriculture conventionnelle, non polluante, non toxique, aucun intrants, beaucoup moins de travail mécanique et de pétrole...

Jean-Christophe produit des légumineuses comme les pois chiches, lentilles qui seront sublimés par le Chef Régis et ses équipes aux restaurants J'Go, des céréales comme l’épeautre, de plus en plus en plus réutilisée par les boulangers.

Extrait du reportage "Soigneurs de terre" dans l'émission "13h15 le dimanche" sur la chaîne France 2, diffusé le 31/01/2016

Nourrir l'humanité et rechercher l'efficacité des interactions naturelles ne sont pas au cœur de l'agriculture moderne. Elle conduit à une forte concentration économique qui va avec de fortes dépendances des agriculteurs. Elle est là pour enrichir la spéculation financière, des laboratoires, l'industrie pétrolière et pétrochimique, les banques qui prêtent pour l'achat des machines, le foncier... (endettement) , les industries agricoles et alimentaires (agro-fournisseurs), les transporteurs et les distributeurs (les territoires importent en moyenne 98 % des aliments qu'ils consomment et exportent 97 % de leur production agricole), les technocrates et les bureaucraties.

Comme le dit Jean-Christophe :

quand on sait qu'il y a 3 fois plus de personnel dans les chambres d'agriculture que dans les champs, il y a comme un malaise

Le problème de l'obésité bureaucratique, technocratique et étatique n'est pas l'apanage de l'agriculture. En ce moment nous pourrions aussi parler de la gouvernance du système de santé en France... Ou de la France tout simplement, pays le plus taxé et imposé du monde pour alimenter cette obésité bureaucratique et technocratique forcenée.

Coléoptère sur un tapis de branche

Avoir recours au low-tech, faire reposer la productivité agricole en permaculture, polyculture, agroforesterie sur des sols vivants avec des ouvriers gratuits comme les vers de terre, les coléoptères, etc. c'est exploiter les interactions et coopérations naturelles, ça ne rapporte rien à l'agri-business. Chut... ne dites rien, on va donner l'idée à un technocrate de taxer l'énergie des échanges naturels ou le nombre d'insectes recensés dans les parcelles.

Des humains plus autonomes et une polyculture individuelle

L'ergonomie comme la permaculture cherchent à améliorer l'autonomie (capacité de décision) et l'indépendance (capacité à agir) des individus et des groupes, en s'appropriant les outils, en aménageant leur propre environnement, pour créer des lieux de travail et d'habitats plus durables et résilients, plus respectueux de l'environnement tout en réduisant la dépendance aux systèmes industriels de production et de distribution.

L'ergonomie essaye de fournir les outils, les marges de manœuvre pour permettre à l'intelligence situationnelle des individus de faire face à des imprévus, situations nouvelles ou dégradées. Cela va avec les capacités des individus à s'adapter et cela repose aussi pour beaucoup sur la polyvalence.

Comme la monoculture intensive, rigide, lourde, à forte inertie, soumise à de fortes dépendances et aux risques systémiques s'oppose à l'agilité de la polyculture dont j'ai beaucoup parlé, il existe une certaine monoculture individuelle et mono-financière dans nos métiers et nos carrières (plus ou moins long fleuve tranquille) : connaissances et expertises ultra-spécialisées, maintien dans la zone de confort d'un boulot stable dans une entreprise, moins de précarité, pouvoir payer son confort, ses taxes et impôts. Le double usage du mot "confort" dans la phrase précédente est édifiant.

Tout cela revêt une inertie potentielle et un risque de manque de capacités d'adaptation en cas de grand bouleversement économique. Les conséquences de la crise sanitaire actuelle du COVID 19 vont être énormes sur l'économie, le marché du travail et le quotidien. Face aux bouleversements à venir, il serait sans doute opportun de profiter du confinement actuel pour réfléchir à nos capacités d'adaptation et sortir d'une autre forme de confinement. Observons la nature, peut être que chacun d'entre nous y trouvera des réponses.

4 Commentaires
  • Clain Jonathan
    Publié à 10:22, 06 juillet 2020 Répondre

    Très intéressant j’espère bien que cette crise du covid sera un mal pour un bien que les personnes vont regarder de plus près leur consommation.
    Au vu des élections un pas et franchi les autres viendront.

    • Pierre
      Publié à 12:48, 07 juillet 2020 Répondre

      Bonjour Jonathan, merci pour votre intérêt.

      Oui, espérons que cette crise permettra un réveil des consciences et un changement durable des comportements de consommation pour beaucoup de personnes.

      Quant aux résultats des dernières élections municipales, c’est l’abstention record dans la lignée des élections précédentes qui est, avant tout, l’expression d’un rejet massif du système politique actuel. Il ne révèle hélas rien d’autre étant donné que la soit-disante « vague verte » n’est qu’un nouveau mensonge médiatique absolu. En effet, en réalité, 2,8% des français ont maintenant un maire écologiste. Source : https://www.lagazettedescommunes.com/686782/28-des-francais-ont-un-maire-ecolo/

  • Kevin Thomas
    Publié à 06:56, 10 avril 2021 Répondre

    Article très instructif, merci Pierre. J’ai juste une question sur la citation de Pons Augstin Alletz : « car chaque province ne doit travailler à perfectionner que ce qu’elle possède, et ne faire d’essais que sur les productions analogues à son terroir ». J’y trouve un petit goût de la « théorie économique de l’avantage comparatif » de Ricardo, que Stéphane Linou dénonçait l’autre jour, et qui est à l’origine de la mondialisation. Il faut tenir compte de ce qu’on sait faire, oui. Mais puisque nous cherchons la sécurité alimentaire (et que nous savons que ça ne peut se faire qu’en local, et pas du local à 160km comme le propose le CNRA), il va bien falloir se débrouiller pour avoir des cultures variées partout. Je ne parle pas de produire de TOUT partout, mais une variété suffisante pour avoir une alimentation équilibrée.

    • Pierre
      Publié à 08:28, 10 avril 2021 Répondre

      Remarque juste et intéressante, Kevin.
      Dans mon propos elle vient étayer l’idée qu’il est impératif de prendre en compte le contexte spécifique à son terroir, c’est à, dire le climat, la géologie, les écosystèmes et les pratiques existantes, etc. Mais effectivement ça ne doit pas être un frein à la polyculture, à l’innovation et à l’intégration de variétés et d’espèce non-endémiques, bien sûr ! L’homme fait cela depuis très longtemps, et implante des cultures provenant d’autres terroirs parfois lointains, etc. et créé de nouvelles formes d’interactions.

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