Paysage soleil

Rêves brisés de colonies martiennes et retour à la réalité : sécuriser l’alimentation locale sur terre

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Résumé

Plutôt que de pousser des cries d'orfraie sur Elon Musk affirmant que la Seconde Guerre mondiale est insignifiante au regard des problèmes logistiques que connaît Tesla aujourd'hui, analysons cela calmement, là où on peut encore le faire. Ce qu'il dit, c'est que les systèmes de production et d'acheminements mondialisés sont devenus extrêmement complexes et fragiles. Cela peut retarder également son projet de voyage sur Mars. Mais cela met surtout en évidence un problème beaucoup plus grave, d'autant plus qu'il n'est pas anticipé par les responsables de la sécurité civile : pas de résilience alimentaire des territoires ni de plan de secours. Avec 2 ou 3 jours de stock alimentaire dans les magasins, les conséquences de ruptures de chaînes d'approvisionnement causées par des cyberattaques, des troubles liés à la gestion de la crise sanitaire ou bien d'autres facteurs peuvent avoir des conséquences catastrophiques, des troubles sociaux à la guerre civile, un effet domino d'effondrement systémique majeur. Les seules réponses et solutions ne peuvent venir que des individus et territoires et aucunement d'États Leviathan, inertes et corrompus, incapables de résoudre les problèmes dont ils ont créé les conditions.

Je voulais initialement faire un post sur Facebook pour réagir à l'actualité sur le tollé provoqué par les derniers propos du milliardaire Elon Musk. Au fil de la rédaction, j'ai décidé d'en faire un billet sur ce blog, sur lequel je n'avais rien publié depuis un an.

S'attaquer aux problèmes de production et aux contraintes d'approvisionnement de Tesla représente un problème logistique faisant paraître la Seconde Guerre mondiale insignifiante.

Elon Musk, 26 avril 2021

Le milliardaire au succès flamboyant a fait une comparaison paraissant pour certains, pour le moins douteuse : "les problèmes de logistiques font paraître la Seconde Guerre mondiale insignifiante", s'agissant des pénuries de composants qui ont perturbé ou mis aux arrêts ses lignes d'assemblage de voitures électriques Tesla.

Elon Musk

On pourrait comprendre que s'énerver sur des retards de commande pour assembler ses voitures électriques et sembler reléguer à l'anecdote une boucherie mondiale qui a fait des millions de morts, des drames terribles et détruit des pays entiers peut choquer certains, ou être considéré comme symptomatique d'un caractère outrancier, ou que sais-je encore. Nous sommes en effet dans une époque où il est devenu difficile voire impossible de plaisanter ou de parler calmement, posément, avec discernement, lucidité, intelligence, pas seulement de la seconde guerre mondiale, mais de n'importe quel sujet même lointainement sérieux. Le débat socratique qui a fait la grandeur de notre civilisation a désormais disparu pour faire place à une hystérie généralisée, des réactions émotionnelles creuses et sans fondement, en temps réel, sur Twitter ou ailleurs, de faux débats cacophoniques où l'intelligence semble avoir disparu : pour l'audience, par la recherche de la polémique, du clash, qui seront vite consommés et oubliés (c'est le but). La quintessence de la "société du spectacle" décrite par Guy Debord. Cela rend bien des services à la doxa dominante, empêtrée dans le capitalisme de connivence, ses contradictions et trahisons idéologiquement intenables, pour fuir le débat et faire taire toute opposition ou questionnement légitime en ayant recours aux techniques les plus éculées du terrorisme intellectuel, en qualifiant dans des cris affreux tout ce qui sort du politiquement correct et du narratif officiel de complotisme (à la mode) ou de basses Reductio ad Hominem ou Ad Hitlerium. mais c'est un autre débat, justement. D'ailleurs, sur ce dernier point je pense qu'Elon Musk l'a échappé belle : sorti de son contexte, affirmer que la Seconde Guerre mondiale est insignifiante peut vous coûter très cher. Mais Elon a les moyens, ne nous inquiétons pas trop pour lui.

Bref, toute cette longue parenthèse pour dire que l'hystérie ambiante pourrait nous empêcher de comprendre tout simplement ce qu'Elon Musk entendait, c'est que les chaînes logistiques mondialisées sont régies aujourd'hui par des flux et des systèmes extrêmement complexes, que la fabrication d'un produit fait appel à des milliers d'acteurs dans le monde entier, un dédale d'intermédiaires, de fabricants, de transporteurs, de process et de systèmes d'informations complexes pour gérer ses flux, et que tout cela est susceptible d'être perturbé par des imprévus, soumis à des risques et des perturbations plus ou moins malveillantes ou covidiennes. Et donc que les problèmes logistiques contemporains sont beaucoup plus complexes et problématiques que pendant la seconde guerre mondiale.

Supply Chain

Maintenant, laissons nous aller à une sur-interprétation de ses propos : peut-être révélaient-ils une compréhension plus ou moins consciente et terrifiante de ce que préfigure ces ruptures de chaînes d'approvisionnement de plus en plus chroniques : la fabrication de tout ce qui assure notre survie et notre confort aujourd'hui, et à fortiori d'un produit aussi ambitieux qu'un vaisseau spatial pour se rendre sur Mars (ambition d'Elon Musk avec SpaceX) repose sur des chaines logistiques mondialisées, complexes et très fragiles, dépendantes du pétrole pas cher, et créant les conditions d'un risque d'effondrement systémique majeur. Et c'est la fin du rêve de colonie martienne.

Tout le paradoxe de ces systèmes, c'est qu'en "tenant" encore, en continuant à ronronner et à assurer notre confort, ceux-ci entretiennent notre aveuglement, notre déni sur notre mortelle et extrême dépendance.

Nous pourrions nous rassurer en pensant que ce n'est pas très grave si les chaines logistiques sont perturbées, que la fabrication de certains produits soit retardée : voitures électriques, avions Airbus, navette SpaceX pour se rendre sur Mars, ou encore une multitude d'autres produits technologiques plus ou moins finalement inutiles, ou plus précisément "non essentiels" pour reprendre un autre terme à la mode. Sachant que tous ces composants proviennent essentiellement de Chine, usine du monde reposant sur le charbon. Mais c'est loin, alors ici où l'industrie a disparu on peut moraliser et taxer sur l'écologie et continuer à importer ces produits.

Sauf qu'en réalité les risques sur les chaînes logistiques menacent des produits pouvant être perçus comme plus anodins et qui sont tous l'inverse car ils s'avérent être des ressources absolument vitales au quotidien. Je pense à l'eau, à l'alimentation, aux médicaments et à l'énergie. Car la question de fond, c'est : qu'est-ce qui est essentiel ? Non essentiel ? Nos technocrates, dont le rôle consiste à complexifier et à aggraver encore des situations dangereuses dont ils ont crées eux même les conditions, lorsqu'ils ont imposés des fermetures de certains entreprises, se sont aperçus qu'ils avaient créent des ruptures et des dysfonctionnements sur des activités essentielles, ont dégradés de manière honteuse les conditions de travail de personnes absolument essentielles : les chauffeurs routiers, qui ravitaillent en produits vitaux. Dieu merci, nos technocrates ont compris que boire, manger et garantir une hygiéne minimale était essentiel. Ouf, nous sommes sauvés. En fait non, personne ne semble avoir retenu la leçon.

Car qui d'entre-nous sait que les territoires de France, pays du monde à la richesse et la diversité du terroir vantée et inégalée, ne disposent en moyenne que 2% d'autonomie alimentaire ? Autrement dit, que la production locale ne fournit que 2% des besoins alimentaires ? Même dans les territoires ruraux ?

Qui sait que les territoires ont une production agricole, qui, le plus souvent, n'est pas directement à destination humaine et impropre à la consommation, l'exporte à 97% pour être transformée ailleurs ?

Etude UTOPIES - Autonomie alimentaire des villes

Qui sait qu'aujourd'hui que dans les magasins et plateformes alimentaires, il n'y a que 2 à 3 jours de stock ?

Lorsque je travaillais comme ergonome pour des clients de la grande distribution dans les années 90 et 2000, j'ai vu les enseignes alimentaires réduire au minimum leur stocks couteux et immobilisés dans les magasins, pour mettre en place le "flux tendu", grâce au pétrole pas cher permettant de transporter quotidiennement et parfois depuis très loin, avec des systèmes informatiques de plus en plus perfectionnés et complexes pour automatiser et gérer le réapprovisionnement.

La crise sanitaire a mis en évidence nos dépendances à l'international pour certains produits. Mais la prise de conscience semble nettement insuffisante et la mise en œuvre de solutions, inexistante. Et le risque s'amplifiera, quand les technocrates et les grands cabinets de conseil vont comprendre qu'il y a un marché juteux sur la gestion des risques alimentaires, et vont vendre à prix d'or des audits et des missions interminables (il faut bien justifier le prix et nous fourguer des drones pilotés par satellite). Mais nous n'avons plus le temps pour la corruption, la dilapidation de l'argent public et les tergiversations. Et la question de la survie et de l'alimentation concerne d'abord les individus et les territoires : car c'est là où sont les principaux concernés et les ressources.

Pour reprendre un terme à la mode depuis 20 ans, il y a de "l'agilité" dans les organisations à taille humaine et/ou avec une certaine horizontalité (petites entreprises, coopératives, associations…) et cette agilité est nécessaire pour de l'efficacité et de la rapidité d'adaptation et d'exécution, car ce sont les seules organisations capables d'agir dans un monde de plus en plus rapide et mouvant, pour compenser et remplacer les bureaucraties incapables de le faire : couteuses, inertes, corrompues, jacobines et centralisées. Les "jardins à la française" (programmes ferroviaire, nucléaire..) c'est fini. La survie, l'efficacité et les solutions sont dans les territoires et les organisations agiles. Et ce constat s'appuie sur mon vécu de 30 ans d'observation du terrain des entreprises et des administrations.

Schéma des organismes de santé en France
Organismes de santé en France

Il suffit de regarder ce schéma montrant l'imbrication kafkaïenne de tous ceux qui sont censés gérer une crise sanitaire et voir comment elle est gérée pour comprendre l'incurie de l'État. Tout cela pour se retrouver au final avec un "conseil de défense sanitaire" (no comment) complètement opaque, et des décisions prises par une seule personne, avec les résultats qu'on connait. Il y a trop de bureaucrates et de technocrates à tous les étages dans le privé ou le public, avec ses passerelles par porte-tambour qui se cooptent pour remplir des bureaux qui créent de l'inefficacité, de l'inertie, et du process à l'infini (il faut bien justifier son salaire) et appauvrissent, freinent, perturbent, polluent, épuisent et vident de son sens le travail de ceux qui sont réellement utiles, productifs et compétents sur le terrain : les infirmières, les agriculteurs, etc.

Déléguer à d’autres notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle

Emmanuel Macron, 12 mars 2020

Qui a vu à quel point que les risques augmentaient avec la complexité ?

Les cyberattaques se multiplient. Qu'elles aient des motivations commerciales, crapuleuses, politiques ou terroristes, elles visent principalement la Supply Chain, les chaînes d'approvisionnement, car elles sont stratégiques.

Ceux qui sont censés assurer notre sécurité n'ont pas vu ou n'ont pas voulu voir ces risques, que ce soit l'État et ses représentants locaux, les préfets, et les maires : les administrés doivent être informés, via le Dossier d'Information Communal sur les RIsques Majeurs (DICRIM) des mesures prises en cas de crise majeure, ceci pour assurer la sécurité publique.

Les Plans Communaux de Sauvegarde (PCS) prévoient le déploiement des secours en cas de catastrophe naturelle, accidents technologiques, selon les spécificités des lieux. Mais aucun ne prévoit les risques de rupture de la chaine alimentaire. Ils prévoient la réquisition des produits alimentaires dans les magasins : mais que réquisitionne-t-on, quand il n'y a rien dans les rayons ? Comment fait-on pour secourir avec le ventre vide ?

Il devient urgent d'agir, d'abord en alertant les responsables en mettant en œuvre des solutions locales. C'est la raison de mon engagement dans la Brigade DICRIM

Les solutions ne peuvent être que locales et basées sur des Low-tech, pas sur des technologies, des drones ou des robots issus de chaînes mondialisées rajoutant toujours plus de dépendances et de risques. Quand il s'agit de la question vitale de l'alimentation, ce sont d’abord les individus et les territoires qui doivent en avoir la gouvernance et la souveraineté afin d’assurer un seuil suffisant d’autonomie et de résilience alimentaire locale. Ce sujet a été abordé dans mon billet précédent.

Pour continuer à rêver de voyages dans les étoiles, nous avons besoin de nourriture, de sécurité, d'autonomie et d'indépendance.

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